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Littérature | Patrimoine
La Vierge Marie, victime collatérale ?
l’Hôtel de Ville, salle du Conseil Général - Neuchâtel
Présentation de l'enquête menée sur la disparition, en 1672, de la scène de donation qui ornait le portail médiéval de la Collégiale de Neuchâtel. Conférence à deux voix par Lionel Bartolini, directeur des Archives de l’Etat de Neuchâtel et Lucienne Girardier Serex, historienne, co-commissaire de l’exposition « Le don de Berthe ». www.dondeberthe.ch
L’arrêté du Conseil Général du 20 avril 1672 qui ordonne d’effacer les images sculptées de la Collégiale est particulièrement laconique. Une enquête pluridisciplinaire a donc été nécessaire pour envisager les causes d’une mesure qui semble choquante aujourd’hui. Lionel Bartolini et Lucienne Girardier Serex partageront avec le public les pistes que suit actuellement leur recherche en cours.
Que s’est-il passé en 1672 ?Le 20 avril 1672, le Conseil de Ville décide de faire effacer toutes les images dans la Collégiale. Principale cible de cette mesure, le relief du tympan de l’église est dégradé le 28 mai suivant. Les représentations de la Vierge, de Berthe et d’Ulrich, les fondateurs, ainsi que l’inscription latine sont « effacés ». Que s’est-il passé en 1672 pour que les autorités communales s’en prennent ainsi aux parties hautes du portail, qui avaient pourtant échappé au zèle iconoclaste des réformateurs un siècle et demi plus tôt ?
Dès 1655, des persécutions, parfois massives, prennent pour cible les Réformés. Dans nos régions, les églises « de la Religion » prient et jeûnent régulièrement pour ces églises martyrisées. En 1671, le roi de France, Louis XIV, adopte une série de mesures discriminatoires de plus en plus sévères. La principauté de Neuchâtel, passée à la Réforme, appartient alors au duc d’Orléans-Longueville, un prince français de confession catholique. La rumeur se répand qu’il veut créer des couvents et imposer la foi catholique à ses sujets. Plusieurs incidents surviennent à proximité de la Collégiale. Un grand feu est allumé sur le parvis lors des Brandons (fête catholique) ; un coup de pistolet retentit un dimanche soir pendant le culte ; enfin, le dimanche 14 février 1672, trois croix imprimées sont accrochées aux tilleuls devant l’église. Les autorités communales font brûler celles-ci sur-le-champ, provoquant le courroux des catholiques.
Les soupçons se portent sur Ignace Ervoil, l’envoyé du prince. Celui-ci est par ailleurs associé au chancelier Georges de Montmollin dans un projet de monopole princier sur le commerce du sel, portant atteinte aux franchises de la ville. Un climat insurrectionnel s’installe, qui culmine avec la tenue de l’Assemblée Générale des bourgeois. Sous la pression populaire, le gouverneur François-Pierre d’Affry reconfirme le droit des bourgeois à faire commerce du sel. C’est dans ce contexte tendu que, dans un souci d’apaisement, les autorités communales décident d’ôter de l’espace public un monument susceptible, par la présence de la Vierge, d’attiser les tensions confessionnelles. L’historiographie a pointé du doigt les pasteurs de la ville, notamment le pasteur David Girard, dont les violentes diatribes en chaire choquaient certains bourgeois. Lucienne Girardier Serex montrera qu’une chronologie fine permet de révéler que le pasteur Girard était au contraire très apprécié en 1672. Il était le doyen de la Vénérable Classe des Pasteurs et c’est lui qui inaugura le temple du bas en 1696. Georges de Montmollin rapporte qu’au moment de « l’affaire des croix », les « sages du Consistoire » s’étaient montrés modérés. Ce n’est que 15 ans plus tard que la révocation de l’Edit de Nantes exacerbe les tensions religieuses et ce n’est qu’en 1699, à l’occasion de querelles politiques, que le pasteur Girard est démis de ses fonctions. D’autres pistes sont envisagées et seront partagées par Lionel Bartolini lors de cette conférence « en cours de recherche ».
Lionel Bartolini :
Historien de formation, Lionel Bartolini a occupé de 2001 à 2004 le poste d’assistant de recherche FNS puis celui d’assistant en histoire médiévale et de la Renaissance à l’Institut d’histoire de Neuchâtel. Engagé en 2004 comme archiviste cantonal adjoint aux Archives de l’État de Neuchâtel, il est nommé archiviste de l’État de Neuchâtel en 2008. Il assume par ailleurs une charge d’enseignement en archivistique et sauvegarde du patrimoine documentaire à l’Université de Neuchâtel.
Lucienne Girardier Serex :
Historienne indépendante, formée à l’Université de Neuchâtel, Lucienne Girardier Serex s’intéresse particulièrement à la littérature médiévale, période sur laquelle, elle rédige des articles scientifiques. Elle est actuellement co-commissaire de l’exposition sur le portail médiéval de la Collégiale de Neuchâtel :Le don de Berthe.
Exposition Le don de Berthe, Galeries de l’Histoire, Av. DuPeyrou, 7, 2000 Neuchâtel, jusqu’au 15 juin 2025.